Mounas Tété

zikclub

Critique: Man of Gut - A.K.O

Cet EP présente 6 titres sur lesquels A.K.O offre une diversité explicite dans son style de rap.

Critique: Man of Gut - A.K.O

J’ai pris le temps d'écouter L’EP Man of Gut de A.K.O. Il y a quelques mois à peine, je découvrais A.K.O sur le remix de l’un des nombreux classiques de Grace Decca “I Need Some Love” en featuring avec Veeby et Andy Jemea. Je me disais qu’il avait «du talent et que c’était pas mal». Comprenez bien: Il ne m’avait pas tant marqué que ça! Je l’ai vite rangé dans la case des artistes qui ont certes du talent, mais qui ne vont pas faire plus d’un son ! Mais pas si vite !

 

 

Puis est venue cet EP sorti le 4 Juin 2016. J’ai décidé d’écouter tout de même en faisant fi de ce que j’ai pu pensé avant ! Et quelle surprise ça a été ! Je me suis demandé où était A.K.O durant toutes ces années? Il avait enfin réussi à capter mon attention ! Je décide donc par curiosité de découvrir son travail et après quelques clics, je me rend compte qu’il n’était pas nouveau dans le game. Il gratte des textes depuis 2005 et a sorti un street album en 2009. Néanmoins Man of Gut reste une très très belle surprise. Ma première écoute de l’EP, la nuit de sa sortie aux alentours de 1h du matin, je voulais juste l’écouter vite fait et me coucher... Râté ! J’ai réécouté l’EP une multitude de fois cette nuit là.

 

 

Pour commencer, c’est du rap, mais pas du rap stéréotypé. Le flow, le style et l’univers d’ A.K.O sont très riches et très variés. Ça punch, ça chante, ça casse les mesures, ça apporte un peu d’air frais au paysage du rap Camerounais. D’ailleurs, qui a dit qu’il fallait nécessairement rapper en français ou en anglais? Nan, nan A.K.O kill tout dans une pléthore de langue. Comme si ce n’était pas suffisant, il a mis les petits plats dans les grands en ayant des grands noms du beatmaking Camerounais tels A.N.G et Cheetah pour ses prods et Ewube, l’une des princesses de la pop Camerounaise en featuring sur l’EP. En 6 titres seulement, A.K.O vient et se pose comme l’un des artistes sur lesquels je compterais pour faire de la #GoodMusic dans le futur proche.

 


 

Bref, l’EP s’ouvre avec le titre “Manor” sur une production de DJ Knory qui, à la base semble être du Crunk, mais avec un tempo lent et quelque chose qui fait penser à du Grime. Pour résumer, c’est une production hors norme !  En terme de lyrics, “Manor” veut dire “pote” en langue Bayangy, la langue natale de A.K.O. Sans surprise, A.K.O rappelle bien qui sont ses potes ou ses gars sûrs: de l’égotrip pour ses potes. Ce titre n'est pas un exploit en terme de flow cependant; c’est un peu répétitif et lent, mais c’est du Crunk, donc ça passe. Le titre s'écoute facilement et c’est un bon départ pour l’EP à mon avis.
 


On découvre ensuite le rappeur sur un instrumental de Cheetah. C’est d’ailleurs sur ce morceau qu’on constate qu’ A.K.O rappe aussi en français. Le titre “Swag” n’a absolument rien à voir avec son précédent (et ce n’est que le début) ! L’instrumental est plutôt minimal, une basse qui assure et beaucoup de synthé. Le thème du son a déjà été abordé par plusieurs artistes tel Nernos dans “Je suis pas Bohboh” ou Merca Gang dans “#Tchombe”. “Swag” parle de la vie des munas de riches au Cameroun et le contraste avec la grande majorité de la jeunesse qui peine à joindre les deux bouts. La différence de ce titre est dans le style; A.K.O se démarque avec de la technique dans le flow et évite l’afro-trap qui est devenue un genre musical qu’un autre rappeur lambda utiliserait systématiquement pour ce genre de titre. A.K.O, c’est le “Swag”.

 

 

L'EP continue avec son titre Pop, “Victory” en featuring avec Ewube. Sur un beat “afro-pop” de Philjohn, A.K.O a un flow rapide et varié. Il évoque ses rêves de jeune, son “hood” et sa soif de la réussite, de victoire (Ouais c'est dans le titre je sais...). Une chanson d’inspiration avec Ewube au refrain qui assure. Néanmoins, la partie du titre qui m’a le plus marqué c’est le bridge (pont): un changement de rythme, de cap, avec A.K.O en langue bayangui et Ewube qui continue en anglais sur un tempo différent. C’est bien exécuté et c’est un régal musical pour les oreilles.
 


Par la suite, A.K.O continue avec le titre “Wandafut” sur un beat de N.C Brown. Ce titre suit la tendance actuelle qui est dans le “tout Camerounais”. L’instrumental est très orienté bensikin et tout au long du titre, A.K.O joue avec la nostalgie des jeunes Camerounais dans la vingtaine. Entre slogans publicitaires, jeux en plein-air populaires dans les années 90-2000 et phrases cultes de politiques de la même époque, A.K.O transmet un message d’espoir à la jeunesse Camerounaise tout en dépeignant la réalité actuelle que vit celle-ci. Concernant le flow, il est vrai que ce n’est pas ce qu’il y a de plus recherché ou varié. Cependant, toute la richesse du titre est dans les paroles. Le coup de la nostalgie est de plus en plus utilisé dans la musique Camerounaise et, à mon avis, permet de créer une identité culturelle plus forte. Personnellement, j’aimerais voir plus de samples, plus de phrases cultes réutilisées, mais d’une manière plus subtile que ce que A.K.O propose sur ce titre, mais ça c’est une histoire pour une autre fois.

 


Au premier coup de grosse caisse du titre suivant, on comprend bien que du lourd arrive! “Clando”, cinquième titre de l’EP est sur une prod. de A.N.G. La production, assez atypique est un mix-culturel et tire des influences, manifestement maghrébines, bref A.N.G comme à son habitude nous a fait un taf propre! En parlant des paroles, un “Clando”, c’est à la fois un taxi de fortune, et, dans le contexte de ce titre, l’expression veut dire «passager clandestin». A.K.O attaque ici la problématique de l’immigration clandestine que connaît une partie de la jeunesse Camerounaise afin de rejoindre les pays du Nord.
 

Ça c'est pour les frères dans le désert
Au front et même dans tous les pays en guerre
Les sans papiers, ceux qui n'ont rien à faire
Vous êtes dans mes prières

A.K.O - Clando


Le dernier titre de l’EP, mon préféré, “Summer Time”, prod de Cheetah est une de ces chansons très “groovy” qui t’emporte facilement. L’instrumental est plutôt lent et posé, avec une batterie “old school”, un piano profond, de belles cordes pour le refrain et une basse bien dosée. Ceci laisse toute la place à A.K.O de délivrer son message d’espoir (comme quoi après la pluie vient le beau temps). Une fois de plus, A.K.O me surprend dans le style de ce titre qui est à mille lieux des titres précédents. Son obédience chrétienne se fait ressentir d’avantage, ici il fait allusion à sa mère qui lui aurait donné une Bible dans son enfance et ce livre sacré dicterait sa conduite depuis lors. Un texte profond lorsqu’on prend le temps de l'écouter. En terme de flow, j’ose croire que mieux faire aurait été difficile, très difficile ! A.K.O passe sur le beat avec une aisance surprenante, pendant les 3 minutes de la chanson. Il garde le même rythme quasiment tout le long, mais joue avec les fins de mesures et ses rimes sont riches, parfois multi-sylabiques. Et c’est sans parler du refrain chanté qui rappelle des chants de chorale, confirmant juste l’esprit du titre, très apaisant.

 

 

Je ne pourrais parler de ce disque sans parler du travail graphique qui l’accompagne. Le graphiste Fée Klochett a su représenter chaque titre avec une illustration graphique différente et bien pensée. Ceci prouve la volonté de l'équipe toute entière d’édifier une identité artistique pour ce disque et ça marche! Avec tous ces éléments, malgré la grande variété de styles et rythmes musicaux touchés, Man of Gut reste cohérent, et le rappeur parvient à se créer un univers. Comme si ce n’était pas assez, A.K.O et son équipe ont fait quelque chose qu’on voit rarement dans le rap Camerounais: partager gratuitement 1000 copies physiques du disque, dans les villes du Cameroun et à l'étranger. N'hésitez surtout pas à les contacter pour acquérir votre copie.


Ma conclusion sera courte. Man of Gut est un concentré de talent et d’ambition artistique par cet artiste qui était autrefois underground et qui, aujourd’hui, veut se faire une place sous les projecteurs. Cet EP est un gros pari; il pourrait être sa porte d'entrée dans la cour des grands à côté des artistes qui feront l’histoire du Rap Camerounais dans le futur ou alors celui qui sera le début de la fin, tant le public est friand d’un rap stéréotypé et formaté à la sauce buzz. A.K.O a le talent pour percer et son équipe semble bien l’accompagner. Allez, enjoy la tape en écoute gratuite sur SoundCloud et Bandcamp.

 

 

#Hip-Hop #Rap #Critique

Publié le

23 June 2016

Ecrit par

Boris.D.
0 commentaires
Partager

Articles récents


Nouvel Age D'Or de La Musique Camer Part III Nouvel Age D'Or de La Musique Camer Part III

À quand un age d'or pour cette nouvelle école ?

#

Pascal-Olivier | 11 December 2016

Je Suis Camerounaise Et J'Aime La Musique Electronique Je Suis Camerounaise Et J'Aime La Musique Electronique

Qui peut s’intéresser à la musique électronique au Cameroun ?

#EDM #Article #Electronic #Dance #Music

Emma | 05 December 2016

Chronique: Koppo - Je Go Chronique: Koppo - Je Go

Du rap en cam-franglais en 2003 ? Oui, c'est bien Koppo !

#Rap #Chronique #Cam-franglais

Boris.D. | 30 November 2016

Nouvel Age d'Or de la Musique Camer Part II Nouvel Age d'Or de la Musique Camer Part II

Les deux académies de la nouvelle école de la musique urbaine Camerounaise.

#Article #Soul #Rap

Pascal-Olivier | 26 November 2016

Commentaires

Mounas Tété © 2024 · contact@mounastete.com · messenger